“Et encore je ne vais pas me plaindre”
La lettre de la directrice qui s’est suicidée sur son lieu de travail ce week-end à Pantin commence par « Aujourd’hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée ». Plus loin, on lit « et encore je ne vais pas me plaindre » et son courrier se termine par le souhait que l’Institution ne salisse pas son nom.
Ce soir j’ai la chiale parce qu’épuisé·es nous le sommes tou·tes à seulement une poignée de jours de la rentrée, parce que comme elle nous aimons notre métier et nous essayons de bien le faire, pire de le faire comme on nous le demande. Jusqu’à l’absurde. Parce le quotidien professionnel décrit dans sa lettre fait écho au nôtre, à celui des autres fonctionnaires qui assurent leurs missions de services publics, notamment auprès des plus fragiles. Et, évidemment, parce qu’il·elles furent en première ligne pour ce qui est de la perte de sens et du management innovant au quotidien des salarié·es du privé, à celles et ceux qui se vendent à la mission, à la journée, à la course, à celles et ceux qui doivent justifier sans cesse de n’avoir pas pu travailler suffisamment pour survivre dignement.
J’ai la chiale parce que oui, on n’ose plus se plaindre, dire ce qu’on vit, dire l’épuisement, dire la perte de sens, dire ses conditions de travail, publier sa fiche de salaire. Parce que oui, il y a toujours plus précaire, plus pauvre, plus oppressé·e, plus exploité·e. Alors on ferme sa gueule et on dit merci pour le peu qui nous reste, le peu qu’on nous concède jusqu’au prochain coup de rabot.
J’ai la chiale parce que sa mort est inutile. Tragiquement inutile. Rien ne changera. Parce qu’au mieux, ils nous fileront 300 balles. Brut. À condition qu’on bosse plus en juillet. Ils nous feront un grenelle, un numéro vert, une putain de cellule d’écoute qui n’entendra rien. Rien de la souffrance au travail qui est une souffrance sociale, qui est une souffrance systémique dans un système qui porte un nom : l’ultra-libéralisme autoritaire. Dernier masque du capitalisme qu’on n’ose plus nommer.
J’ai la chiale parce que sa souffrance sera déchirée par les chiens qu’ils soient éditorialistes appointé·es ou haters des réseaux sociaux, je les entends déjà les « ahah épuisée après 2 mois de vacances, ouhou sur son lieu de travail, quel manque d’éthique… ».
J’ai la chiale parce que je sais qu’ils ont gagné déjà les managers de l’entreprise France parce que je suis triste au lieu d’être en colère.
Honte à eux pour ce qu’ils nous font subir.
Honte à nous de les laisser faire.