Peut-on “exister” à l’École ?
Au-delà de la petite phrase du Président de la République, ce qui inquiète c’est ce qu’elle révèle de son projet politique.
La vision de l’Autorité portée par ce projet est en contradiction avec la perspective d’une École, lieu de vie et de construction de soi, et s’oppose aux modalités avec lesquelles l’Institution scolaire et les enseignant·es doivent faire autorité pour être dans la création d’un acte émancipateur.
« Tout ce qui vous renvoie à une identité, une volonté de choquer ou d’exister n’a pas sa place à l’école. » [1] (E. Macron, 01.07.21) »
A vrai dire, je pense exactement l’inverse et cette phrase m’emplit d’effroi.
Ce qui nous construit
Humain·e, créature sociale, nous nous construisons exactement comme ça au contraire. Et en particulier à ce moment spécial qu’est l’adolescence.
– IdentitéS. Nous nous construisons « sur », « avec » et/ou « contre » les lieux, les gens, les valeurs dont on vient pour aller vers ce qu’on est.
– Tester les limites, choquer. Nous nous construisons en interrogeant le cadre, les règles, les usages de la société dans laquelle on vit.
– Exister. Nous nous construisons dans une perspective émancipatrice parce qu’il y a, intact, ce désir de vie, opposé aux idéologies mortifères, à la pédagogie noire ou à la dépression qui est la mort du Désir, parce que justement il y a cet élan de vivre.
Le rôle de l’Autorité éducative
Et l’École doit bien évidemment accueillir et accompagner tout cela.
C’est très précisément tout à la fois son rôle, sa fonction et une de ses finalités. Et si l’on assiste depuis quelques années à un basculement dans le discours officiel des finalités de l’École de la formation de citoyen·nes doté·es d’Esprit critique vers la fabrique d’individus employable, il n’en reste pas moins que ce rôle a été rappelé dans la toute récente circulaire de rentrée 2021, rédigée par le Ministère Blanquer :
« [L’École de la République] est restée fidèle à sa promesse : celle de permettre à chaque enfant, sur tout le territoire, de s’épanouir et de déployer toutes ses potentialités, pour qu’il soit, à l’âge adulte, un citoyen libre et éclairé, c’est-à-dire doué d’esprit critique et conscient de partager une destinée commune avec le reste de la société française. » [2] (Ministère de l’Éducation, 2021)
L’École doit donc accueillir et accompagner tout cela.
Accueillir ne veut pas dire tout permettre, mais réfléchir au cadre qui est institué, celui qui permet de grandir, de se construire et de se heurter au fonctionnement social de son époque. Accueillir signifie aussi penser les outils pour tenir ce cadre éducatif face à sa remise en cause saine et nécessaire par les jeunes.
C’est très exactement le chemin proposé par les chercheur·euses en Sciences de l’Éducation qui réfléchissent à la question de l’Autorité aujourd’hui :
« L’autorité est donc envisagée ici dans une acception large, qui ne se limite pas à en faire un moyen économe d’obtenir l’obéissance. Outre que ce dernier choix favorise l’assimilation abusive de l’autorité à l’autoritarisme, au pouvoir, à la violence, dont elle se distingue pourtant radicalement, il conduit à ne pas considérer les autres fonctions de l’autorité, en particulier celle d’augmenter l’autre dans ses capacités, de garantir ses actions, de permettre la transmission des savoirs. L’autorité revêt également une indispensable fonction médiatrice, entre l’individu et un monde de culture dans lequel il doit entrer, entre le jeu des différentes libertés individuelles et la société des individus. Il semble possible de réunir en une formule ces fonctions primordiales : l’autorité est ce qui contribue à rendre l’autre auteur de lui-même et à être un membre à part entière de la société des individus. » [3] (Roelens, 2019)
Mais ce chemin exigerait :
– de ne pas être être dans un traitement médiatique, clivant et politicien de l’Éducation ;
– de faire confiance au dialogue, à un fonctionnement en bonne intelligence collective, de poser une exigence morale qui concernerait autant les jeunes que les personnes les encadrant et l’Institution même ;
– de financer, autour de ces questions, les formations des enseignant·es et des personnels d’encadrement souvent dépassés par des attitudes face auxquelles iels sont démuni·es ;
– et enfin de se donner le temps et les moyens pour accompagner la mise en place de vrais outils démocratiques et coopératifs dans les établissements scolaires.
Il est très certainement plus facile de surfer sur le contexte réactionnaire en proposant un discours répressif et autoritaire qui ne coûte rien ni en temps ni en argent.
Maladresse ou projet politique ?
Plus qu’une maladresse, on perçoit la cohérence avec le projet Macroniste pour la société : sa verticalité, sa destruction des corps intermédiaires (qui participaient à construire et faire vivre cette autorité non autoritariste), ce monologue continu qui ne laisse aucune place à l’Autre, ni dans ce qu’il est, ni dans l’autonomie de son devenir.
On constate aussi la cohérence de cette petite phrase avec les réformes du Ministère Blanquer, incessantes et d’une cohérence remarquable : sa verticalité, sa réduction des devoirs du fonctionnaire à la loyauté de l’enseignant·e, son instrumentalisation de la Laïcité comme outil de contrôle social.
On ne peut s’empêcher de s’interroger sur la façon dont le SNU [4] est mis en place. La façon dont, de tweets officiels [5] en publi-reportages dans la presse locale, il finit par ressembler à l’aboutissement des projets précédemment cités [6].
Avec un mélange de républicanisme identitaire et de localisme folklorique [7], le SNU est en effet assumé avec fierté par ses organisateurs comme un « mix parfait entre colonie et camp militaire » [8].
Ce n’est sans doute pas un hasard que les deux modèles convoqués sont dans notre imaginaire stéréotypé ceux de l’Autorité autoritariste (camp militaire) et de l’Autorité évacuée (camp de vacances) qui ne produisent que des sujets, ces deux modèles d’autorités même que l’Autorité éducative, émancipatrice prétendait dépasser pour créer des auteur·trices de soi...
Et, enfin, cette mention du camp militaire nous ramène à l’effroi mentionné initialement, car en effet, dans un camp militaire, “tout ce qui vous renvoie à une identité, une volonté de choquer ou d’exister n’a pas sa place”.